19

 

Quand elle repensait à ce qu’elle avait vu pendant le combat contre les vampires, Emma en frissonnait encore.

Malheureusement pour elle, elle savait maintenant à quoi ressemblait Lachlain lorsqu’il se transformait. On aurait dit que l’image tremblotante d’un projecteur instable se posait droit sur lui, illuminant quelque chose de meurtrier, de brutal, qui la regardait, elle, avec une avidité absolue.

Et elle se trouvait à présent dans son lit.

— Ce que tu as vu la nuit dernière… ce n’est pas moi, Emma. (La lumière changeante du feu faisait danser les ombres sur le visage de Lachlain, rappel malvenu de la scène de la veille.) Juste une petite part de moi. Que je suis capable de contrôler.

— De contrôler ? (Elle hocha lentement la tête.) Alors, si tu m’as attaquée près de l’aéroport à Paris, et plus tard à l’hôtel, c’est que tu avais décidé de t’en prendre à moi ? Tu voulais vraiment m’étrangler ?

Il lui sembla qu’il retenait une grimace.

— Il faut que je t’explique. Tu sais que j’ai été capturé par la Horde, mais pas que j’ai été… torturé. Je… Mon comportement et mon esprit en ont été affectés.

En fait, elle savait qu’il avait été torturé ; elle ignorait juste de quelle manière.

— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

— Il est hors de question que je t’inflige le récit de ces horreurs, répondit-il prudemment. Mais pourquoi ne pas m’avoir dit que tu étais à moitié valkyrie ?

— Qu’est-ce que ça aurait changé ? Je suis toujours une vampire, et mes tantes sont toujours tes ennemies.

— Pas du tout, s’obstina-t-il. Je ne considère pas comme des ennemies de faibles femmes installées sur un autre continent.

Emma trouva son ton méprisant presque aussi insupportable que l’idée de le voir batailler contre ses tantes.

— Quand Annika vient-elle me chercher ?

Les yeux de Lachlain se plissèrent.

— Tu m’as promis de rester jusqu’à la pleine lune.

— Tu n’as pas… Elle ne vient pas ?

— Pas maintenant.

Elle en demeura bouche bée.

— Je n’y crois pas ! s’exclama-t-elle enfin. Mais comme tu arrives tout droit du passé, je veux bien t’apprendre les règles du jeu. (Elle leva le pouce.) D’abord, quand Emma manque se faire tuer par des vampires, elle a droit à une carte « Vous êtes libéré de prison » qui s’applique à ses petits camarades lycae. (L’index suivit.) Ensuite, maintenant que mes tantes connaissent ta nature, elles te tueront si tu ne me renvoies pas immédiatement à la maison. Tu ferais mieux de me relâcher le plus tôt possible.

— Si elles parviennent à trouver Kinevane, elles auront bien gagné le droit d’essayer.

Il était tellement déterminé… La lèvre inférieure d’Emma se mit à trembler.

— Tu m’empêcherais de rejoindre ma famille, alors que j’ai tellement besoin de mes proches ?

Une larme brûlante roula sur sa joue. Jusqu’ici, ses pleurs avaient dégoûté Lachlain. Cette fois, il en parut… bouleversé. Il s’empressa d’effacer la goutte rose.

— Tu veux rentrer chez toi, et tu le feras, mais pas avant quelques jours.

— Qu’est-ce que ça change, quelques jours de plus ou de moins ? demanda-t-elle, sans chercher à dissimuler sa frustration.

— Je te retourne la question.

Elle serra les dents, luttant contre l’indignation et les sanglots inutiles.

Il lui prit délicatement le visage d’une main en lui caressant la joue avec le pouce.

— Écoute, reprit-il d’une voix rauque. Tu ne vas rester que peu de temps, alors je ne veux pas me disputer avec toi. Juste te montrer Kinevane.

Il se leva, s’approcha des épais rideaux et les ouvrit en grand, avant de regagner le chevet d’Emma. Elle eut beau se pencher en arrière en se raidissant de tout son corps, il la souleva dans ses bras pour la porter jusque sur le balcon.

— Ça va t’étonner, mais le domaine m’appartient toujours. Il n’y a pas de Wal-Mart.

La lune se levait sur un château majestueux, dont elle éclairait l’antique façade et les pelouses magnifiques. Le brouillard qui se refermait peu à peu sur la bâtisse avait un vague parfum de sel.

Lachlain montra quelque chose, au loin.

— D’ici, on ne voit pas les murs de la propriété, mais sache qu’en leur enceinte, tu es parfaitement à l’abri.

Lorsqu’il l’assit sur la balustrade, les jambes d’Emma se glissèrent aussitôt entre les piliers de marbre, quoiqu’il la tienne toujours par les hanches.

Il s’en aperçut, fronça les sourcils, mais ne fit aucun commentaire.

— Qu’est-ce que tu en penses ? s’enquit-il seulement.

Sa fierté manifeste se comprenait parfaitement. La façade en pierre du château était percée de fenêtres entourées de motifs en brique, assortis aux allées et au fond de l’énorme cheminée de la chambre. Les jardins semblaient immaculés, et s’il fallait en croire les appartements du maître des lieux, Kinevane était sans conteste un monument de luxe. Avec sa sensibilité de Valkyrie, Emma ne pouvait que l’admirer.

— Alors ?

Il attendait, visiblement plein d’espoir – celui qu’elle aime sa demeure.

— Au moins, dans quelques jours, ce sera la pleine lune, répondit-elle en levant les yeux au ciel.

Quand elle se retourna vers lui, il serrait les dents. Elle rejeta en arrière sa chevelure emmêlée, qui lui parut pleine de débris sablonneux.

— Bon, je vais me doucher.

Emma se baissa pour jeter un coup d’œil dans la chambre, derrière son compagnon, puis se tortilla jusqu’à ce qu’il la lâche.

— Je vais t’aider… Tu es encore affaiblie…

— Une douche. Seule ! cracha-t-elle en pénétrant dans la salle de bains luxueuse – et moderne – dont elle s’empressa de fermer la porte à double tour.

À sa grande horreur, elle s’était aperçue qu’elle avait les ongles sales ! Ôtant la chemise dont Lachlain l’avait revêtue – une de ses chemises à lui –, elle examina les marques hideuses qui descendaient sur son torse en longs bourrelets. Un gémissement lui échappa, tandis qu’elle vacillait. Jamais, de toute sa vie, elle n’oublierait le regard du vampire juste avant qu’il ne la blesse. À ce moment-là, elle avait amèrement regretté son coup de tête. Ça va être ma fête, s’était-elle dit alors qu’il levait la main. Mais pourquoi l’avait-elle provoqué ?

Elle fit couler la douche et attendit que la vapeur s’en élève pour se glisser sous le jet d’eau. Une cataracte rouge dégringola autour d’elle, emportant le sang séché pris dans ses cheveux. Frissonnante, elle se concentra sur le torrent coloré. Pourquoi, mais pourquoi l’ai-je provoqué ?

Sauf que… qui s’en était sorti, hein ?

Elle aurait dû être morte. Elle ne l’était pas. Elle avait survécu à ses agresseurs.

Emma fronça les sourcils. Elle avait survécu à des vampires. Au soleil. À l’attaque d’un Lycae. Tout cela en une semaine. Les pires peurs de sa vie étaient complètement… dépassées.

— Il vaudrait quand même mieux que je t’aide.

Elle se retourna en sursaut.

— Tu devrais t’acheter des actions dans une usine de serrures ! J’ai dit seule !

Il acquiesça.

— Oui, c’est ce que tu dis toujours, et je reste toujours. On fonctionne comme ça.

Il exprimait avec calme, d’un air très raisonnable, une idée complètement délirante.

Ton intimité ? Tu n’en as plus… La main d’Emma se referma sur un flacon de shampoing, son flacon de shampoing, déballé en prévision de son séjour. Il fila comme une flèche vers sa cible, mais Lachlain l’esquiva sans difficulté. La bouteille disparut dans la chambre, où s’éleva un bruit de verre brisé qu’Emma trouva profondément satisfaisant. Mais pourquoi provoquait-elle son hôte ?

Parce que ça fait du bien.

Il haussa le sourcil.

— Tu vas encore te faire mal.

Elle attrapa le démêlant à l’aveuglette.

— Pas avant de te faire mal, à toi.

 

 

En voyant partir le deuxième flacon, Lachlain eut un petit hochement de tête.

— Bon, très bien.

Quand il sortit et referma la porte derrière lui, il admit en son for intérieur qu’il allait lui falloir un peu de temps pour s’habituer à ne pas régner en maître chez lui.

Son regard se posa alors sur le miroir qui n’avait pas de prix que venait de casser la bouteille, un miroir qui se trouvait là depuis des siècles, le plus vieux du monde, peut-être. Il haussa les épaules. Au moins, Emma guérissait.

Il passa ensuite un quart d’heure à rôder dans le couloir, l’oreille tendue, au cas bien improbable où elle l’appellerait. Comment la persuader de se nourrir ? Si elle gagnait en force grâce au sang qu’elle lui prenait, il fallait qu’elle recommence. D’ailleurs, il y veillerait.

Elle était furieuse parce qu’elle aurait voulu retrouver sa famille. Il la comprenait parfaitement, mais il ne pouvait la laisser partir. Ce n’était tout simplement pas possible. À moins de l’accompagner, peut-être ? Soumis à l’interdiction absolue de faire du mal à la moindre Valkyrie, même pour se défendre…

Il regrettait de devoir se montrer aussi dur avec elle, après tout ce qu’elle avait subi, mais ils n’avaient pas le temps de faire des histoires.

Lorsqu’il regagna leur chambre, elle s’était douchée… et habillée comme pour sortir.

— Non mais, qu’est-ce que tu crois ? s’exclama-t-il, agacé. Tu as besoin de repos. Au lit !

— Je sors. Tu m’as bien dit que j’étais en sécurité.

— Évidemment. Je vais t’emmener…

— Je sors pour m’éloigner de toi. Tu peux m’obliger à rester à Kinevane quatre nuits de plus, d’accord, mais ça ne veut pas dire que je dois les passer avec toi.

— Alors bois avant, dit-il en la prenant par le coude.

Elle jeta à sa main un regard meurtrier.

— Lâche-moi.

— Il faut que tu boives, nom de Dieu ! rugit-il.

— Va te faire foutre ! riposta-t-elle sur le même ton en se dégageant violemment.

Quand il l’attrapa de nouveau par le bras, elle réagit si vite que le geste en devint flou. Lachlain lui saisit le poignet juste à temps pour éviter une gifle monumentale.

 

 

Il émit un grognement bas, menaçant, contraignit Emma à s’adosser au mur et lui posa la main derrière la tête.

— Je t’ai déjà dit de ne plus me frapper. Je te préviens : la prochaine fois que tu essaieras, il y aura des représailles.

Elle garda la tête haute… en espérant que son regard n’était pas trop révélateur.

— Un seul de tes coups de griffes risque de me tuer.

— Jamais je ne t’infligerai le moindre coup de griffes, protesta-t-il d’une voix rauque. (Il se pencha pour lui effleurer les lèvres d’un baiser.) Je considérerai à chaque fois que tu m’as donné le droit de t’embrasser.

Elle sentit ses mamelons durcir et la colère l’envahir, à cause de la trahison de son corps. Apparemment, il était plus soumis à Lachlain qu’à elle. Malgré la panique et les déchirements des dernières nuits, il suffisait que le Lycae la frôle de manière sensuelle pour qu’elle ait envie de lui. Alors qu’elle était terrifiée par la bête tapie au fond de son être. Que se passerait-il s’il se transformait pendant qu’ils faisaient l’amour ? Cette pensée l’aida à s’écarter de lui.

— Je sais que tu veux davantage qu’un baiser. C’est bien pour ça que tu m’obliges à rester jusqu’à la pleine lune, non ? Pour coucher avec moi ?

— Je ne nie pas que je te désire.

— Et si je te proposais d’en finir ? Cette nuit même ? Et de me relâcher demain ?

Elle eut parfaitement conscience que Lachlain réfléchissait, avant de répondre :

— Tu coucherais avec moi pour me quitter quelques jours plus tôt ? (L’idée paraissait presque le choquer.) Ton corps en échange de ta liberté ?

— Pourquoi pas ? (Elle baissa la voix.) Songe à tout ce que j’ai fait sous la douche, à Paris, pour un simple coup de fil…

Il tressaillit, lui tourna le dos, s’approcha de la cheminée en boitant puis considéra les flammes, la tête basse. Jamais elle n’avait vu personne regarder le feu de cette manière. Concentrée. La plupart des gens semblaient se perdre dans une contemplation hypnotique ; Lachlain, non. Attentif, les prunelles mobiles, il paraissait suivre dans le foyer le dessin mouvant de chaque flamme.

— Je tiens à te dire que je regrette la manière dont je me suis conduit avec toi, mais je ne te laisserai pas partir maintenant. Tu es libre de te promener dans la propriété, si tu veux. Il y aura des gardes pour te protéger.

Libre de se promener dans la propriété… Emma mourait d’envie d’explorer les environs, depuis qu’elle avait senti l’odeur du sel. Sans un regard en arrière, elle regagna le balcon, grimpa sur la balustrade puis se laissa tomber dans la nuit.

— Je sais que tu me reviendras avant l’aube.

Tels furent les derniers mots qui lui parvinrent.

Morsure Secrète
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